ÉDITION 2023


Le 13 mai aura lieu la marche ExisTransInter à Paris, la marche des personnes trans et intersexes et de celles et ceux qui les soutiennent. Elle est appelée par un collectif inter-orga, qui s’occupe de son organisation depuis plus de 25 ans. Son mot d’ordre : mobilisé-es contre la loi Darmanin.

Depuis notre dernière marche, en France comme ailleurs, la situation des personnes trans et inters ne s’est pas améliorée, au contraire. Nous sommes toujours précarisé-es, discriminé-es à toutes les échelles — famille, école, santé, travail. Nous souffrons toujours d’une forte difficulté d’accès au travail et à la santé, quand, pour les trans migrant-es, nous n’en sommes pas simplement exclu-es. Nous sommes toujours limité-es dans l’accès à nos transitions médicales — aucune prise en compte lors des autorisations de mise sur le marché, suppression d’hormones à la vente, pénuries à répétition, interdiction d’accès aux injections d’hormones féminisantes, difficulté d’accès à une transition correcte par manque de moyens — comme aux transitions administratives — par l’absence de reconnaissance de l’autodétermination. Les enfants intersexes sont toujours mutilé-es à la naissance. Les mineurs trans sont toujours interdits de transitions administratives, médicales, voire sociales à l’école, malgré la faible circulaire Blanquer. Nous sommes toujours considéré-es comme des sujets psychiatriques qui ne peuvent décider pour eux-mêmes. De maigres conditions matérielles d’existence qui ne peuvent qu’aller de pire en pire avec les politiques répressives à l’égard des enfants trans et inters, des politiques racistes contre les sans-papiers ou encore de la casse du système social.

À ces difficultés, s’ajoute une montée de la transphobie à l’échelle internationale. Issu des mouvances réactionnaires, un mouvement anti-trans se développe chaque année davantage. Il s’installe durablement dans les médias de tous horizons, aux portes de l’Assemblée, dans les institutions médicales et dans des groupes militants violents. Toutes ses figures démontrent d’ailleurs chaque jour leurs liens et leur rapprochement grandissant avec l’extrême droite. Au-delà de la saturation médiatique, cette campagne internationale a des conséquences concrètes catastrophiques. Outre-Atlantique, plus de trente lois anti-trans ont été appliquées localement aux États-Unis. Après les interdictions de transition médicale pour les mineurs sont venues celles pour les adultes et la mise en place de détransitions de force, ou encore l’enlèvement des enfants aux parents trans-acceptants ; avec ça, la suppression de la couverture maladie. Les changements d’état civil et la vie quotidienne dans le sexe choisi sont rendus les plus impossibles. En France, comme aux États-Unis, les mouvements anti-trans ont cristallisé le débat autour de quelques paniques morales : les trans et les drag queens seraient des prédateurs sexuels, les trans manipuleraient les enfants par l’éducation, les femmes trans voleraient les compétitions sportives aux femmes cis. Aucune de ces paniques médiatiques n’est fondée sur une infime preuve matérielle, elles ne sont d’ailleurs qu’une resucée des paniques anti-homosexuels et anti-féministe qui les ont précédées. Après l’acceptation du mariage homosexuel, ils ont trouvé leur nouveau cheval de bataille.

Les offensives anti-trans tentent de centrer le débat sur la question des enfants, comme ils le faisaient en 2013 contre le Mariage Pour Tous. Les conséquences concrètes sont catastrophiques sur les conditions et la santé des mineurs trans, à l’école, dans la santé et dans leur vie de tous les jours, poussant certain-es au suicide. Ils et elles doivent faire face à un déni d’existence et un harcèlement institutionnel qui refuse et dénigre leur transition, à une impossibilité de changer leur état-civil ou encore à un accompagnement médical insuffisant. Mais protéger les mineurs n’est qu’un prétexte. L’exemple américain nous montre bien que cela n’a jamais été le but des militants anti-trans ; il a toujours été d’interdire toute transition, de nous effacer de l’espace public. Nous, trans, n’avons par contre jamais l’accès à la parole, celle-ci étant toujours ravie, soit par des pseudo-spécialistes psychiatrisant soit par des militants réactionnaires. Ces régressions sont d’ailleurs loin de toucher seulement les trans : avec et après nous, ce sont les gays et lesbiennes qui sont touché-es, ce sont les femmes qui sont touchées. Ils luttent pour la conservation d’un ordre moral patriarcal, afin de perdurer l’exploitation des femmes par les hommes dans le cadre hétérosexuel.

Cette ExisTransInter se déroule dans le contexte d’un mouvement social fort contre la réforme des retraites, loi destructrice des conditions des travailleurs. Trans et inters, nous sommes de la classe des travailleurs. Si encore nous parvenons à accéder à l’emploi, nous sommes des travailleurs et travailleuses précaires. La réforme du système de retraites nous pénalise davantage. Les emplois précaires, les discriminations à l’embauche et au travail ont des répercussions sur nos solaires et nous conditionnent à des carrières hachées, ce qui a des répercussions sur le montant de nos pensions et la possibilité d’atteindre la durée de cotisation nécessaire à une pension complète. Lorsque nous sommes sous minimas sociaux, handicapé-es, nous n’avons pas même accès à une retraite. Au-delà de la réforme en elle-même, l’impossibilité d’accès au travail, encore pour forte pour les trans et inter-s migrant-es, pousse au travail du sexe. Nous souhaitons parler du grand nombre de personnes trans et/ou migrantes travailleureuses du sexe, qui ne peuvent que peut cotiser et qui ont un accès plus que difficile à l’emploi salarié classique. En tant que trans comme en tant que prolétaires, nous sommes particulièrement touché-es par toutes les casses sociales mises en place par les gouvernements bourgeois.

Cette réforme des retraites démontre une nouvelle fois, comme avant elle les lois telles que celle sur la PMA et celle sur l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, que nous n’avons pas d’intérêt à faire confiance aux institutions pour l’amélioration de nos droits : rejet de l’interdiction des mutilations sur les enfants intersexes, rejet de l’accès à la PMA pour les personnes trans, exclusion délibérée des hommes trans de la protection à l’avortement. Les dernières « avancées » pour nos conditions — il faut remonter à 2016 sur le changement d’état civil et 2009 sur la dépsychiatrisation — démontraient déjà l’absence d’intérêt des politiques bourgeoises envers nos revendications et l’amélioration concrète de nos conditions.

Face aux mouvements conservateurs, face aux politiques patronales, nous nous devons de construire un front uni, organisé, intersexe et trans qui soit ambitieux pour l’amélioration de nos conditions matérielles d’existence. Nous ne devons pas nous limiter à quelques projets de loi sur le mariage ou la parentalité, mais bien dénoncer une exploitation patriarcale, une exploitation capitaliste de nos vies et reconnaître que nous faisons partie d’une classe. Nous devons nous organiser pour perpétuer nos pratiques de lutte, nos pratiques d’autosupport, développer notre présence à toutes les échelles. Nous devons nous organiser avec et au sein des organisations du mouvement social. C’est à ce front que participent la marche et le Collectif ExisTransInter, qui réunit de nombreuses associations de toute la France. Nous nous devons de le mettre en place ce 13 mai pour les inters et les trans, ce 29 avril pour les sans-papiers et tous les jours contre la propagande réactionnaire anti-trans et anti-féministe, contre les atteintes aux droits des mineurs inters et trans, contre les très faibles conditions des trans immigré-es et travailleur-euses du sexe, contre les attaques sociales des droits des travailleurs, contre la psychiatrisation des trans et des personnes handies. Toutes les attaques de la bourgeoisie nous touchent, nous trans et inters, et participent à l’affaiblissement de nos conditions matérielles. Ce 13 mai doit être une démonstration de la force de ce mouvement !

Ce front s’est déjà démontré dans les luttes féministes, par l’opposition aux militantes essentialistes anti-trans, qui s’est incarnée par les appels unitaires de Toutes Des Femmes en 2020 et de l’« Appel à une alliance féministe et trans » en 2022. Cette année, il a aussi pu être observé à travers l’investissement de groupes trans, inters et homosexuels dans la lutte contre la réforme des retraites, à Paris comme ailleurs. Un investissement qui n’a rien d’une nouveauté, mais qu’il faut continuer de développer et de pérenniser, au contact des autres travailleur-euses et au sein des syndicats. C’est pour ce front que l’ExisTransInter marche cette année contre la loi Darmanin.

Loi dont la discussion est en cours au Parlement, la loi Darmanin se place dans la continuité des politiques répressives vis-à-vis des étrangers mises en place par les derniers gouvernements. Elle renforce une criminalisation raciste des sans-papiers, en mettant la priorité à l’expulsion. Tous les moyens sont bons : complexification des critères d’obtention et de renouvellement des titres de séjour, réduction des délais de recours, renforcement de la « double peine » (condamnation à l’expulsion en plus d’une condamnation judiciaire) ou encore une possible suppression de l’Aide Médicale d’État (AME). Le caractère raciste et colonialiste de ce projet de loi se démontre encore plus avec l’introduction d’un titre de séjour « métiers en tension ». Alors que les travailleurs sans-papiers souffrent déjà de conditions matérielles d’existence désastreuses, ce titre renforce l’utilisation des personnes migrantes comme des travailleurs jetables, peu chers et sans droits pour des métiers difficiles. Un titre de séjour qui est d’ailleurs temporaire et peut cesser d’exister dès que le métier n’est statistiquement plus considéré comme « en tension » ou lorsque l’employé est viré. C’est une nouvelle reconnaissance légale d’une maltraitance des travailleurs étrangers par le patronat, donnant tout le pouvoir au patron sur le travailleur, dont il peut décider de l’expulsion par une simple signature. L’idée derrière ce projet de loi est claire : les travailleurs étrangers ne sont pas les bienvenus en France, sauf si leur force de travail peut être utile au capital ; et une fois que ce n’est plus le cas, ils sont expulsés.

À l’instar de l’ensemble des politiques capitalistes, celle-ci va toucher davantage les personnes déjà opprimées par celles-ci. Les personnes trans migrantes, qui souffrent déjà de discriminations à l’embauche et au travail extrêmement fortes, pour ne pas dire qu’elles sont privées de l’emploi, sont parmi les catégories les plus sensibles aux expulsions. Nombre d’entre elles sont travailleuses du sexe (TDS), souffrent déjà de répressions fortes, accentuées par la loi de la pénalisation des clients de 2016. L’instauration d’un respect préalable aux « principes de la République » fait d’ailleurs craindre à une accentuation des possibilités répressives envers elles. Elles souffrent aussi de discrimination aux aides, d’accès à la médecine, au logement, de discriminations judiciaires qui vont être accentuées par l’augmentation de ces procédures et les exposent, avec ce projet de loi, encore plus aux expulsions. Les situations de pauvreté sont aussi criminalisées via, par exemple, le renforcement de la « double peine » judiciaire. Toute personne condamnée pour une infraction passible de cinq ans de prison pourrait être expulsée. Cette criminalisation des pauvres, des TDS s’observe sur d’autres lois portées par le gouvernement Borne, telle la loi Kasbarian-Bergé (dite « loi anti-squat »), qui condamne à des peines de prison l’occupation de logements inutilisés et pousse à la rue les personnes expulsées de leurs logements.

Il ne s’agit pas de la seule politique raciste et répressive à l’égard des sans-papiers de ce gouvernement. Il ne s’agit pas de la première, certainement pas de la dernière. L’« opération Wambushu » actuellement en cours à Mayotte est un autre exemple récent de cette politique colonialiste. Elles participent toutes, avec les politiques conservatrices et capitalistes, à la mise en place d’un ordre, social et économique, tourné vers l’impérialisme. Il touche, de manière systémique, les personnes racisées en France et d’autres pays. Il vise à l’exploitation de leur force de travail, qui peut s’observer en France par un accès au travail qui passe avant tout par des emplois précaires et durs. Ces conditions sont d’autant plus dures pour les personnes migrantes, comme explicité plus haut, mais aussi trans et intersexes. Nous devons, nous personnes trans et intersexes, nous mobiliser contre ces politiques racistes, systémiques, et néolibérales. Nous devons converger vers une lutte à la fois antiraciste, trans et intersexe si nous voulons faire tomber ce système qui nous opprime. En ce sens, le Collectif ExisTransInter a rejoint les appels du Collectif Uni-es contre l’immigration jetable et de la Campagne Antiracisme et Solidarité. Nous appelons à la mobilisation pour l’ensemble des actions organisées dans le cadre de ce mouvement, notamment à la marche du 29 avril à Paris et dans toute la France. 

Inters, trans, nous qui sommes privé-es de nos voix, nous qui sommes sommé-es de nous taire partout, dans la rue, dans les écoles, au travail, dans les médias, dans les soins, dans nos familles, il est plus que l’heure de nous lever et de battre le pavé. Il est l’heure d’organiser un grand front pour nos droits au sein de l’ensemble des mouvements antiraciste, anti-patriarcat et anticapitaliste. Dans la continuité de nos combats, des frères et des sœurs et de nos adelphes qui sont partis, cette journée participe à la pérennisation et à la construction de nos luttes. Aujourd’hui, contre la loi Darmanin, l’heure est à l’urgence pour les sans-papiers. Vingt-six ans d’ExisTransInter et nous savons que la lutte n’est pas finie, qu’elle est loin de l’être. Tous et toutes dans la rue, le 29 avril et le 13 mai !

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