Le 17 février 2017, une « Circulaire de présentation de l’article 56, I de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle » a été publié par la Direction des affaires civiles et du sceau, au sein du Ministère de la justice. Cette circulaire vise à préciser aux officiers d’état civil les conditions dans lesquelles recevoir les demandes de changement de prénom et notamment, comment et sur quels critères interpréter la notion « d’intérêt légitime » de la demande. L’annexe n°2 de cette circulaire, intitulée « Panorama de jurisprudences antérieures sur l’intérêt légitime au changement de prénom » liste ainsi les différentes « hypothèses majoritairement retenues […] dans la jurisprudence antérieure ».
Il est regrettable que toutes les associations qui luttent pour les droits des personnes trans n’aient pas été consultées lors de la rédaction de cette circulaire. C’est avec surprise et colère que nous avons ainsi découvert parmi les motifs listés pour justifier d’un intérêt légitime les « Motifs tenant à la transsexualité du demandeur ». En outre, les « Éléments aidant à l’appréciation de la légitimité du motif invoqué […] » caractérisent ce motif comme « une volonté de mettre en adéquation son apparence physique avec son état civil en adoptant un nouveau prénom conforme à son apparence […] ».
Ce n’est apparemment pas assez que de consacrer la notion de « transsexualité », terme archaïque, pathologisant et tout simplement impropre pour décrire la réalité de nos vécus et de nos identités : cette circulaire entérine de fait l’appréciation de l’« authenticité » de l’identité de genre d’une personne trans à l’aune de son apparence physique. Après une loi instituant l’arbitraire judiciaire en matière de modification de la mention de sexe à l’état civil, nous nous retrouvons à nouveau soumis·e·s à l’arbitraire administratif pour modifier nos prénoms. L’accent placé sur l’« apparence physique » et l’exigence d’adopter un « prénom conforme à [l’] apparence » nous somment de satisfaire les attentes et préjugés individuels des officiers d’état civil concernant notre genre, et de nous soumettre physiquement à une bi-catégorisation rigide « homme/femme » pour être considéré·e·s légitimes dans toute demande de changement de prénom.
Bien que le Défenseur des Droits ait rappelé dans sa décision cadre du 24 juin 2016 qu’« une procédure déclarative, rapide, et transparente, auprès de l’Officier d’État-civil […] lui paraît la seule qui soit totalement respectueuse des droits fondamentaux des personnes trans », et bien que la population des personnes trans soit particulièrement touchée par la précarité et l’absence d’accès aux soins, à l’éducation ou au travail, le Ministère de la Justice persiste à nous assujettir à des attentes arbitraires et stéréotypées sur notre genre et notre apparence.
Les demandes de changement d’état civil émanant de personnes trans, qu’il s’agisse de la modification de la mention de sexe ou des prénoms, ne relèvent pas d’une simple « volonté de mettre en adéquation son apparence physique et son état civil ». Il s’agit bien au contraire d’une nécessité pour préserver nos existences des discriminations, agressions et violences dont nous sommes quotidiennement victimes. Sans changement d’état civil, ce sont nos droits qui sont bafoués et nos vies qui sont mises en danger.
L’autodétermination des personnes trans pour accéder au changement d’état civil est le seul principe à même de garantir le respect de nos droits fondamentaux. Nous n’avons pas à nous soumettre au jugement d’autrui, à l’arbitraire et aux stéréotypes de genre pour exister.
En conséquence et afin de prévenir toute discrimination liée à l’identité de genre lors des demandes de changement de prénoms déposées par des personnes trans, nous demandons que l’annexe n°2 de la circulaire soit réécrite, afin :
· que le « Motif tenant à la transsexualité du demandeur » soit remplacé par « Motifs tenant à l’identité de genre de la personne demandeuse », plus respectueuse et propre à qualifier nos vécus et les discriminations liées à nos prénoms inscrits à l’état civil ;
· que ce motif lié à l’identité de genre de la personne demandeuse ne soit pas apprécié selon son apparence ou tout autre critère à caractère de preuve, mais uniquement selon la déclaration sur l’honneur par la personne demandeuse de la nécessité de ce changement de prénoms pour ce motif.
Signataires :
Collectif Existrans, Acceptess-T (Paris), Association Nationale Transgenre, C’est Pas Mon Genre (Lille), Chrysalide (Lyon), Clar-T (Toulouse), Collectif Intersexes et Allié·e·s, L’Observatoire des Transidentités (Marseille), Ouestrans (Bretagne), OUTrans (Paris), Trans 3.0 (Bordeaux), T-Time (Marseille), Trans-info (Lyon), Trans Inter Action (Nantes), Fédération LGBT, ADHEOS Centre LGBT Poitou-Charentes, Fédération Solidaires étudiant-e-s syndicats de luttes, Act-Up Paris